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Introduction de l'article : Les origines passionnelles du symptôme

Passion, le dictionnaire étymologique de la langue française de Bloch et Wartburg en donne deux acceptions : au sens de souffrance, nous pouvons penser à « la Passion du Christ », et au sens de mouvement de l’âme[1]. Passion est issu du latin passio, littéralement souffrance, douleur voire maladie. De ce terme latin est né compassion – partager la souffrance ; patience – qui permet de supporter la souffrance ; passif – qui subit la souffrance[2]. Oserions-nous proposer patient – qui vient soulager sa souffrance ?

 

Quelle idée Lacan cherchait-il à véhiculer en utilisant le concept des passions humaines ?

 

Il m’est apparu intéressant de retracer quelles places avaient occupé les passions dans l’histoire du traitement des maladies mentales et de leurs symptômes.

C’est avec Claude Galien, au IIe siècle, que l’on voit apparaitre en médecine un intérêt pour les passions. Sensible aux travaux de Platon, Galien définit une passion comme ce qui provient d'une force, dans l’individu, qui désobéit à la raison. Appartiennent au genre des passions la colère, l'emportement, la crainte, le chagrin, l’envie ou encore, de manière démesurée : le désir, la haine ou l’amour. Les prédécesseurs de Galien, depuis Hippocrate, avaient préféré développer des théories davantage basées sur les humeurs, les liquides corporels, le souffle ou encore les tempéraments, c’est-à-dire des propriétés physiologiques et somatiques, pour définir l’origine des symptômes, indices du déséquilibre de la santé.

Galien, en suivant la philosophie du dualisme, se refuse à opposer matière et esprit. Corps et âme participent à la santé. Au traitement physiologique, alimentaire notamment, il ajoute le traitement par les passions. Galien « prescrit le transfert » comme l’a formulé Jean Allouch[3]. Il invite celui qui cherche une amélioration de sa santé corporelle et animique à se tourner vers un autre pour que ce dernier lui enseigne comment se libérer de l’insatiabilité de ses passions. Cet autre, il est précisé qu’il ne devra être ni quelqu’un de cher, ni de suspect, ne devra pas être semblable à soi, et « il aura dû lui-même avoir franchi ce qu’on attend qu’il nous aide à franchir »[4]. Et cela il y a environ mille huit cents ans. Prescription d’un transfert en effet, même si celui-ci ne se gêne pas de prendre la forme d’une relation maître – disciple.

 

Par la suite, le Moyen-Age et la Renaissance voient fleurir nombreuses théories, théorie des passions, théories des fureurs, et autres lectures religieuses, animiques et démoniques de la maladie mentale.

Nous retrouvons l’étude des passions chez Saint Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle. Celui-ci distingue l’anima, siège de la raison, de l’intelligence et de la volonté, de l’animus, siège des sensations, des appétits et des passions. Saint Thomas d’Aquin reconnait à l’origine de la folie un abandon à la passion et aux satisfactions immédiates qui ne font qu’aliéner et museler la raison.[5]

 

Bien plus tard, c’est au moment de la naissance de la psychiatrie, à l’heure où Philippe Pinel met sur pied son Traitement moral que les passions reviennent sur le devant de la scène. Pinel opère un retour aux théories antiques. Les passions, il les considère dans une perspective stoïcienne, comme ce qui vient s’opposer à la raison, et la mettre à mal.

Philippe Pinel ne se contente donc pas d’aller voir du côté des médecins de l’Antiquité, il nourrit sa réflexion de celle des philosophes de l’époque. Dans sa Nosographie philosophique, il conseille - il nous conseille pourrait-on dire - de se rendre « autant familier avec les écrits d’Epictète, de Platon, de Sénèque, de Plutarque qu’avec les résultats lumineux de l’observation qui nous ont été transmis par Hippocrate, Arétée, Sydenham, Stahl ou d’autres observations célèbres. Cicéron, dans le troisième et le quatrième Livre des Tusculanes, ne regarde-t-il point les passions comme des maladies et ne donne-t-il point des règles fondamentales pour les traiter et les guérir »[6].

De là, Pinel, puis son élève Esquirol, s’accordent à dire que les passions sont à l’origine des symptômes de la folie. Contrairement aux stoïciens, les deux hommes ne cherchent pas l’éradication des passions mais plutôt leur équilibre. Le fameux traitement moral qu’ils diffusent est sensé s’appuyer sur le « reste de raison » du malade pour parvenir à ce résultat.

 

Par la suite, nous trouverons le terme passionnel plus particulièrement dans la référence au délire. Gaëtan Gatian de Clérambault définira, par ce terme « passionnels », les délires de jalousie et d’érotomanie notamment[7]. Voilà ce qu’il reste des passions dans la nosographie actuelle.

 

Nous avons vu, dans ce bref exposé, que nous trouvons, dans la notion de passion l’idée d’une domination de la vie de l’esprit et de sa volonté.

La raison, la conscience ou encore le jugement se trouvent aliénés par la passion.

 

Pour parenthèse, Freud n’emploie ce terme de passion qu’avec grande parcimonie. Cela a pu lui arriver pour définir la nature de la force logée dans le ça, renouvelant ainsi l’opposition passion contre raison, la raison étant considérée par lui comme l’affaire du moi[8].

 

Nous pouvons dire que c’est avec cette tradition médicale, psychiatrique et philosophique que Lacan se penche sur la question des passions.

Il définit, dans la première année de son séminaire : « Passion humaine, pour employer le terme spinozien, c’est-à-dire ce en quoi l’homme est ouvert à cette division d’avec lui-même qui structure l’imaginaire »[9].

Spinoza, sensible qu’il était à la dimension imaginaire, nous apprend que les passions, qu’il définit comme des affects passifs, représentent des forces qui soumettent l’être et l’aliènent, qui contraignent sa liberté et le conduisent à la servitude[10].

N’est-il pas là question, en termes freudiens, de forces et de résistances que subit le moi, avec lesquels il entre en conflit et qui souvent le dominent ?

 

[1] Bloch, O., Wartburg, W. von (1932), Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF, Paris, 2008

[2] Le petit Robert de la langue française, Dictionnaires le Robert, Paris, 2006

[3] Allouch, J., L’esquisse du transfert dans le traitement des passions : Galien, http://www.jeanallouch.com/pdf/102, p.7

[4] Ibid, p. 7

[5] Postel, J., Quetel, C., Nouvelle histoire de la psychiatrie, Dunod, Paris, 2004, p.51

[6] Ibid., p.139

[7] Bernard, P., Brisset, C., Ey, H., (1960), Manuel de psychiatrie 6ème édition, Masson, Paris, 1989, p.451

[8] Freud, S. (1923), Le moi et le ça, Œuvres complètes XVI, PUF, Paris, 1991, p.269

[9] Lacan, J. (1954), Le séminaire, Livre I, Les écrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975, p. 246

[10] Moreau, J-F., Spinoza et le spinozisme, PUF, Paris, 2003, pp. 80-84



Pour aller plus loin :
- La revue de Psychanalyse et Clinique Médicale n°37 : Les symptômes organiques, corporels et psychiques dans la cure 
- Les extraits vidéos des intervention de ce colloque


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